Femme sans téléphone portable ?

Récemment un journaliste m’a contactée pour faire un podcast sur les gens ne possédant pas de téléphone mobile. Pas les gens sans smartphone, non vraiment les gens sans téléphone portable du tout, carrément. Or pour ma part, j’ai un téléphone portable, certes qui ne vas pas sur internet, mais téléphone portable quand même. Il m’a demandé des contacts de personnes sans mobile, mais surtout des femmes.

Des femmes ?  Drôle de question. En effet, s’il avait rencontré pas mal de monde sans téléphone portable, c’était tous des hommes ! Alors ça m’a sauté littéralement aux yeux : je ne connais AUCUNE femme qui ne possède pas de téléphone portable. Incroyable ! Depuis 2015 que je m’intéresse au sujet du numérique et de son impact sur l’efficacité au travail, je n’ai effectivement jamais rencontré une femme qui n’a pas de téléphone portable. Oui bien sûr, certaines femmes ont un simple téléphone portable qui ne va pas sur Internet. Certaines l’utilisent de façon très sporadique, à savoir un ou deux jours par semaine ou six mois dans l’année par exemple. Mais des femmes qui n’ont pas du tout de téléphone portable, jamais !

Pourquoi ? N’existe-t-il en France aucune femme qui ne soit dotée d’un téléphone portable ? Comment analyser ça ? Y a-t-il à ce point une différence entre les hommes et les femmes qui joue sur le fait de posséder ou non un téléphone mobile ? Certes, il paraîtrait que dans nos sociétés modernes, la femme continue à s’occuper des enfants, il paraît. Bon, soit, je suis sceptique, en quoi le fait d’avoir un téléphone mobile rend le sujet problématique ? Avec un peu de recul, la plupart d’entre nous travaillons dans un endroit où il y a un téléphone fixe, ou un standard, ou un collègue avec un téléphone portable. Et si ce n’est pas le cas de toutes les femmes de France, en tout cas, ne me dites pas que 100% des femmes sont dans ce cas. En plus, 100% des femmes n’ont pas des enfants à charge… La réponse est sûrement ailleurs.

D’autant qu’on le sait : en faisant l’expérience de déconnexion avec des adolescents, si les débuts se font dans la douleur, très rapidement se met en place une belle harmonie. A ce sujet, jetez vous sur le magnifique témoignage de Susan Maushart dans son livre Pause. En effet, divorcée avec trois adolescents à charge, elle décide de tenter neuf mois sans Internet ! Les conséquences sont assez bluffantes. Mais revenons au sujet des femmes sans téléphone portable : pourquoi y en a-t-il peu ou pas ?

Une histoire d’image ? Il paraîtrait que la femme aime se sentir belle et faire des photos pour se mettre en scène sur les réseaux sociaux. Mouais, il paraît, enfin c’est ce que les industriels veulent nous faire croire. Une minorité peut-être aime beaucoup son apparence, tout comme une minorité d’hommes. Non, franchement, nous ne sommes pas obnubilées, nous les femmes, par notre apparence, arrêtez de le croire ou de vouloir nous le faire croire.

La peur de la solitude ? Oui. D’accord. Il est possible qu’une femme ait plus peur de la solitude qu’un homme. En effet, il est prouvé dans les écrits de Gilligham d’ailleurs, que la femme en général est davantage dans le « care », à savoir la volonté de prendre soin de l’autre, mais aussi prendre soin de la relation. La femme aime le groupe, la sociabilité, la discussion. Les réseaux sociaux lui semblent donc peut-être plus attractifs qu’aux hommes.

Voilà d’ailleurs, en aparté, une belle erreur de diagnostic. Un jeudi matin aux petits dej des entrepreneurs de la CCI, je discutais avec Franck, qui lorsqu’il a appris que j’avais délaissée mon smartphone pour le Nokia 3310, s’est de suite écrié : « Mais tu n’as pas eu peur de l’isolement ? » Incompréhension de ma part ! Car pour moi, l’isolement, c’est le smartphone. Dès que j’ai arrêté le smartphone, j’ai vraiment discuté avec les autres. Quand j’avais le nez dans mon écran, dans les transports en commun ou dans les apéros ou repas avec mes amis, là oui je m’isolais. Aujourd’hui que je vis véritablement avec les gens autour de moi, soyez-en sûrs : je suis moins isolée que jamais. Par contre, quand j’ai vraiment envie d’être seule, je suis vraiment seule, ça me fait un bien fou. Il me faut des moments toute seule avec mes pensées pour réussir à avoir des vraies conversations passionnées avec les autres quand je suis en groupe. Quelle mauvaise interprétation de croire que ne pas avoir de smartphone isole des autres…

En revanche, soyons honnête : on s’ennuie davantage, c’est vrai. Un moment d’attente à la caisse ou chez le médecin, je plonge dans mes pensées, analysant ce que j’ai dit, ce que j’ai entendu, ce que je veux en faire ou pas, ce que je vais devenir demain, c’est parfois constructif, parfois absolument loufoque et ça me fait rire ou sourire, ce qui enjoint une personne passant là à commencer une discussion sur la cause de mon sourire. Paf un mot, une phrase échangée, une heure volée au destin, c’est magique. Au passage, je comprends que ça ne soit pas du goût de tout le monde, c’est juste mon mode de fonctionnement à moi, et je l’adore. Point.

Autre détail important : une personne sans téléphone portable, ça ne se voit pas. En général la personne en question tait cette particularité et ne pose donc aucun objet surprenant sur la table. Par conséquent, peut-être existe-t-il davantage de femmes sans mobile, seulement elles sont très discrètes. Elles font moins de selfie, c’est sûr.

Alors comment rencontrer une femme qui n’a pas de téléphone portable ? Je posais la question dans un groupe d’entrepreneur dont je fais partie. Une réponse m’a scandalisée : « Tu n’as qu’à aller dans les formations gratuites en milieu défavorisé pour les publics qui ont du mal avec le numérique. » Comme si une personne qui n’a pas de téléphone était forcément une personne défavorisée qui a du mal avec les outils numériques. C’est complètement faux. Au passage, c’est plutôt l’inverse quand on parle de numérique : plus un milieu est défavorisé, plus il y a du numérique. La vraie vie pour les riches, le numérique pour les pauvres, comme disent certains dans les grosses entreprises de la tech. Mais faut pas le dire trop fort car quelques croyances tenaces font du smartphone un symbole de réussite sociale, alors que c’est tout l’inverse. Mais chut.

Quoiqu’il en soit, je trouve ça scandaleux de dire qu’une personne n’ayant pas de téléphone est une personne défavorisée et à la traîne. Si tu le penses, c’est ton problème mais garde le pour toi. Il y a des gens qui ont des supers métiers, des expériences de fou, une forte intelligence, et qui justement font le choix de ne pas plier devant le numérique, donc de ne pas avoir de téléphone portable. Ils ne sont ni défavorisés, ni à la traîne. Bien au contraire.

Le problème, c’est que si beaucoup pensent ainsi, celui ou celle qui n’a pas de téléphone portable peut se sentir jugée, agressée ou insultée et doit se défendre de son choix. Serait-ce pour ça que les femmes sans téléphone portable se cachent ? Au passage, je me rends compte que les femmes sans smartphone que j’ai rencontrées ne me l’ont avoué qu’après que moi-même j’ai dégainé fièrement mon petit Nokia 3310. Rarement elles l’ont évoquée d’emblée, sans que j’évoque le sujet.

Ne pas avoir de téléphone ou de smartphone serait une honte socialement ?

Quand j’ai arrêté le smartphone, j’ai gagné 10 heures par semaine pour faire autre chose. 10 heures pour penser, lire, discuter, marcher, ne rien faire. 10 heures pour regarder les autres, débattre, faire un projet associatif, rire et faire rire, découvrir des choses insoupçonnées, m’énerver aussi. 10 heures hebdomadaires dont je n’ai pas honte. Absolument pas.

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