Trop d’infos pour être heureux

Nous recevons beaucoup trop d’informations et elles ne nous apportent pas grand-chose.

Mais que s’est-il passé ? C’est 1840 qui a fait la bascule. En 1840 fut inventé le télégraphe par Morse. Le télégraphe a permis la transmission d’informations dans des contrées lointaines. Il n’a pas permis l’analyse, l’explication et la contextualisation, ne lui en demandons pas trop !

Avant 1840, la société était habituée à de longs débats sur les sujets locaux du vivre-ensemble et de la vie en société. Il était habituel de discuter, mettre en perspective et analyser pour parvenir à des conclusions utiles dans nos décisions. L’incohérence était la honte. On ne sautait jamais du coq à l’âne.

Pour s’en rendre compte, un petit détour par les discours de Lincoln : ils étaient déclamés et non écrits. On ne peut qu’être subjugué par l’incroyable complexité des phrases, plutôt longues et touffues, adjointes de mille conjonctions subordonnées qui en font de vrais chefs d’œuvre. Mais en deuxième lecture, on ne peut qu’être tout également subjugué par l’incroyable performance de l’auditoire capable de saisir ces opinions et toutes ces nuances. Comme l’explique Neil Postman, cela demande une sacrée dose de concentration mais aussi d’entraînement pour suivre les débats à l’époque de Lincoln. Rappelons le format : quand deux orateurs débattaient sur un sujet particulier, le premier avait une heure pour exposer son point de vue, le deuxième avait ensuite une heure et demie pour contre-argumenter sur ce que le premier avait dévoilé tout en donnant son avis sur la question, enfin le premier avait à nouveau une demi-heure pour enchérir son discours suite à l’exposé de son adversaire. Ce type d’exercice était commun, démontrant une forte capacité de l’auditoire à se projeter dans le discours. Mais qui aujourd’hui accepterait de suivre de tels débats ?

Et en quoi est-ce la faute du télégraphe ? J’y viens. Avant le télégraphe, les journaux abordaient les sujets de la vie en société et devaient aller dans le détail et l’analyse puisque ces sujets étaient connus de tous les concitoyens. Or avec le télégraphe sont arrivées des nouvelles du continent tout entier : les journaux ont pu aborder de nouveaux thèmes, sur lesquels personne n’avait d’emprise et qui n’avaient aucune conséquence à court terme sur la vie des concitoyens, mais aussi que personne ne maîtrisait vraiment. Cela a transformé nos journaux en simple amalgame d’informations sans lien entre elles, complètement décontextualisées, qui n’apportent ni savoir, ni réflexion, ni prise de recul à ses lecteurs et sur lesquels les lecteurs n’ont aucun pouvoir.

« On peut dire que la contribution du télégraphe au discours public a consisté à valoriser ce qui était sans rapport avec la vie des gens et à développer l’impuissance. » Neil Postman

Le télégraphe a ainsi bouleversé le discours public, le débat et la vie en société. Le smartphone n’a fait que continuer son œuvre… C’était le début de la passivité.

Certes grâce à ce type d’informations, je peux en parler à la machine à café, briller dans les repas mondains ou gagner au Trivial Pursuit. Formidable ! Le problème réside dans le fait que ces sujets lointains sans contexte et sans explication sont trop difficiles à maîtriser, et cela n’a d’ailleurs pas de sens de les maîtriser puisqu’ils n’ont aucun impact sur ma vie ou du moins je n’ai aucune possibilité d’avoir un impact sur eux. Alors je les survole.

Cette façon de faire devient grave dans le sens où ces discussions superficielles prennent le pas sur de vrais débats liés à des sujets sur lesquels nous pourrions agir et qui auraient un véritable impact sur nos vies. Quel gâchis !

Alors, oui nous n’avons pas besoin de plus d’informations, nous avons besoin de plus d’analyses. Les réseaux sociaux, le smartphone, les mails, la télévision ne proposent pas un monde plus analytique mais un univers remplis de milliards d’informations instantanées qui ne survivent pas la journée, sans contexte, sans impact sur nos vies, sauf celui de nous divertir. En prendre conscience permet déjà de s’en prémunir, c’est la première marche ! Et le ras-le-bol croissant témoigne d’une prise de conscience face à l’inconsistance de ces milliards d’informations dont on nous abreuve à longueur de journée.

Moralité : une information qui n’a pas d’impact sur ma vie, sur laquelle je ne peux pas agir, qui ne me pousse pas à en savoir davantage pour maîtriser le sujet et m’en faire ma propre idée ne devrait pas avoir droit de cité dans ma boîte aux lettres, qu’elle soit électronique, professionnelle ou personnelle.

Sources : Se distraire à en mourir, Neil Postman

Retour en haut